Il y a quand même des coïncidences sacrément honteuses !
Relire des mots écrits il y a deux ans, par exemple, est à la fois comme ouvrir une vieille bouteille de vin dont l'on ne sait pas si le contenu aura mûri en un nectar délicieux ou s'il aura mal vieilli au point de finir sa vie dans un ehpad.
Comme vous pourrez vous en rendre compte, la réponse initiale du texte dont il est question ici pointait son goupillon sur le cas des "irruptionistes". C'était l'époque où, propulsés à corps éprouvé dans une mise-à-plis toute débonnaire, chacun cherchait à leur faire cracher du sucre à cause d'avoir reçu le prix d'honneur et il est peu dire qu'ils s'en prenaient des bouchées doubles dans les dents.
Voyez plutôt.
Ah, l’irruptionisme ! Certains diraient qu'il s'agit de faire compliqué quand on ne peut pas faire simple, un peu comme mettre du sucre dans un espresso italien puis de se plaindre qu'il est trop doux avant de le savourer pour son goût unique. Chacun peut constater que tout mouvement dédié à l'art de tourner autour du pot est destiné au final à y entrer et pourtant, à y regarder de près, on peut déceler une certaine profondeur dans l'idée de nager à la surface.
Rappelez-vous cette fameuse expo des pendouilloirs au Centre de Paris. L’expérience était aussi déconcertante que son public : imaginez-vous portant ces jeans dernier cri parsemés de poches de toutes tailles dont certaines cachent des trésors inattendus tandis que d'autres restent éternellement vides. Pour les irruptionistes, une condition c'est un moyen, ainsi ils nous privent d'un bienfait absolument essentiel, à savoir leur absence.
La visite de 2017... Des heures d'attente, et pour quoi ? Pour réaliser que la véritable œuvre d'art était la file d'attente elle-même. Une interminable procession d'âmes en quête de sens. Et puis, leur tentative autour des espressos à l'italienne : certains y ont vu une dérision, d'autres, une subtile représentation de notre époque où l'authentique se mêle à l'artificiel. Quant à "Politique Virtuelle" : la seule chose virtuelle semblait être leur compréhension de la politique.
Le proverbe chinois que vous évoquez m'évoque une image particulière (ndt. "Quand la vache a des cornes, etc") dans un champ immense, une vache majestueuse avec de longues cornes tourbillonnantes se distingue des autres, non pas par sa taille ou sa forme, mais par le fait qu'elle semble chercher autre chose que le simple blé à portée. Elle incarne l'essence de l'irruptionisme : audacieuse, différente, mais peut-être un peu trop portée sur les rêveries.
Pour moi l'irruptionisme n'a jamais été réellement assimilable. S'il était une danse, on pourrait l'imaginer comme un grand bal où les danseurs exécutent des pas de tango, de salsa et de ballet contemporain, tout cela sur la mélodie d'un orchestre de jazz. Un spectacle fascinant, parfois chaotique. Et, en bouche, ce serait ce sentiment de croquer dans des chips, croyant qu'elles seront piquantes et découvrant qu'elles sont plutôt douces, avec juste une pointe d’amertume et beaucoup d'air. Après tout, l'art et la vie sont tous deux des mélanges de réflexions profondes et de réalités utilitaires.
Mais je vous prie de ne pas me laisser vous inquiéter car, tandis que vous vous plongez dans l'analyse de cette forme d’art singulière, je serai là, m'attelant à des tâches plus pragmatiques comme déplacer ce canapé en velours du XVIIIe siècle ou remettre en place cette bibliothèque débordante de textes anciens.
Vous en conviendrez : lorsqu'on répond à un texte que personne ne lit, c'est vraiment la meilleure manière d'être pertinent car si rien n'est dit, rien n'est contredit. Mais je vous prie de ne pas vous infliger d'avantage de mes meuglements et de me retirer en attendant l'arrivée de mes hommes qui viennent m'aider à déplacer la grande table et le buste.